mardi 26 février 2008

21. Avec le crépuscule


Avec le crépuscule, j'entre dans mon nouveau domaine. Le mas est clos sur soi. Avec sa maison de berger, avec son pigeonnier, le four à pain et deux grands portails, aux soleils levant et couchant.
Le mas est gris-montagne ou doré. Les gorges et les tuiles du toit reposent bien sur les soliveaux de mélèze. Les ancoules lui donnent des airs de cathédrale. Les caves sont voûtées, le vin est âpre et les bonbonnes d'huile essentielles sont à côté.
Le mas s'accroche à la montagne à deux pas de Ganagobie, et les lavandes viennent battre son pied. Tout près il y a Peipin et son château démantelé à la Révolution. Il y a la Durance. Mais c'est l'eau fraîche du Jabron et sa vapeur qui serpentent dans les serpentins des alambics.
Après la récolte, j'irai m'appuyer contre cette pierre à graver dont je vous parlais tout à l'heure. C'est la pierre du rocher de l'Aigle. Elle surplombe les derniers chênes de sept hauteurs de peuplier, et l'on dit que son pied repose au fond d'un lac.
Je me servirai d'elle comme d'une table de lavande. J'y inscrirai ses lois et commandements. Et comme elle est intransportable, il faudra venir à elle. Chaque mille ans, pour commémorer cette célébration, les nouveaux Moïse frapperont la pierre avec un plant de deux ans. Un jour franc, l'huile essentielle coulera comme l'eau des sources. Et chaque fois un miracle différent sera fait. Car la lavande est éternelle.

Fin
Nouvelle édition